Une trame qui s’échafaude pas à pas

En premier lieu, dans un esprit créatif, en guise de point de départ et d’origine, foisonne l’idée… qui, à son tour, engendre une œuvre. Dans le langage caractéristique du lissier, on la nomme « maquette » : peinture, photographie, lithographie, gravure, dessin… la tapisserie d’Aubusson, pour exister et rayonner, est susceptible d’emprunter de multiples chemins.

Le carton

Puis, à partir de cette maquette, survient le carton : il est le support par excellence à partir duquel va se construire, passée après passée, la tapisserie d’Aubusson. Taillé aux dimensions réelles de la tapisserie, il retranscrit toutes les formes, et toutes les couleurs, jusque dans leurs moindres détails… de l’œuvre initiale.

Fondus enchaînés, passages de couleurs (appelés par les initiés « battages »)… le carton est susceptible de comporter tous les éléments nécessaires au tissage de l’œuvre, le lissier n’hésitant pas, parallèlement, à s’aider efficacement par l’intermédiaire de l’observation minutieuse et régulière de la maquette… le point de départ qui n’est jamais bien loin du métier à tisser.

Préparation de la chaîne de métiers

Après une phase, que l’on appelle « l’ourdissage de la chaîne », il s’agit à présent de s’atteler à la préparation de la chaîne et à son montage sur le métier (en tapisserie d’Aubusson, il s’agit toujours d’un métier de basse lisse). Cette étape est cruciale puisque la chaîne de métier, par excellence, va constituer « l’ossature » même de la tapisserie. De son équilibre physique va dépendre l’entière structure de l’œuvre tissée. Tendus et mathématiquement décomptés selon les visées du lissier (en fonction du nombre de couleurs, notamment), les fils sont nombreux et correspondent au nombre de « portées », c’est-à-dire au mode de tissage (« gros points » ou « petits points ») auquel va avoir recours selon sa conception de l’œuvre finale le lissier. Ce nombre de portées, bien entendu, répond à un certain nombre de règles bien précises, et de calculs… propres à l’art et au savoir-faire du lissier !

Le carton est glissé en dessous du métier

Une fois que la chaîne est montée, le carton est glissé en dessous du métier à tisser. La tapisserie d’Aubusson, en effet, s’exécute à l’envers, c’est-à-dire en mode strictement inversé. Et lors du moment fatidique de la « tombée de métier » (qui surviendra très tard, la création avançant de manière extrêmement lente et requérant de nombreuses semaines, voire de nombreux mois de travail), la surprise est immense pour chaque protagoniste de la scène… du métier. Et pour le lissier en premier qui, ayant porté jusque là toute son attention sur la version inversée de l’œuvre, va immédiatement la scruter d’un œil sévère et exigeant.

Une tapisserie d’Aubusson, en tant que création artistique, en appelle naturellement à un méli-mélo chatoyant et généreux de couleurs. Définies par le lissier et par le teinturier (ou coloriste), elles vont être teintées jusque dans leurs moindres nuances par un procédé artisanal, spécifique à Aubusson, qui tient véritablement du prodige.
Au terme de cette opération, va éclore ce que l’on nomme le « chapelet de couleurs »… qui nous rappelle que l’on entre en tapisserie d’Aubusson comme en religion.
Vocation du lissier, certes, mais également du teinturier, dont l’œil, d’une intelligence extrême et rare, va permettre à des laines naturelles de revêtir des couleurs, d’une qualité incontestable. Grâce à elles, la tapisserie d’Aubusson, en tant qu’héritage d’un savoir-faire ancien destiné à se perpétuer, va pouvoir défier le temps puisque, dans la mesure où elles ont été élaborées à partir d’un procédé rigoureux et de matières naturelles, ces couleurs… 100% creusoises, garantissent un éclat inaltérable.

Le « flûtage »

A l’aide du dévidoir et de la roue, ces laines teintes, à présent, vont être enroulées par les mains expertes du lissier sur les flûtes qui leur correspondent : tantôt seules, tantôt mélangées et jointes à d’autres. On appelle cette opération le « flûtage ».

Après tous ces préparatifs, arrive enfin le moment tant attendu… durant lequel, par le tissage, le lissier va s’évertuer à faire naître progressivement la tapisserie d’Aubusson. Une trame qui va, dès lors, exiger de sa part un respect assidu des techniques issues de la tradition à laquelle il a été initié, ainsi qu’une capacité constante à interpréter l’œuvre de départ – la maquette, le carton – à la lumière de son propre regard, de sa propre sensibilité. Battages, croisages… dégradés, effets chinés… le lissier va user de tous les procédés dont il a le secret afin de mettre en valeur l’œuvre originale, et de la retranscrire en mode de tapisserie d’Aubusson.

La tombée de métier

Au terme d’un travail ininterrompu qui peut, dans certains cas, s’étendre sur de nombreux mois, le lissier, parfois en compagnie d’autres personnes (l’acquéreur, le peintre, des invités) va procéder à un moment extrêmement important, voire même solennel : la tombée de métier.

Il s’agit du moment durant lequel, seul ou accompagné de l’artiste, le lissier va séparer, à l’aide de ciseaux, la tapisserie d’Aubusson à laquelle il a été attelé plusieurs semaines, du métier à tisser. Aux yeux de tous, cette étape constitue un moment privilégié qui va faire l’objet unanime d’une véritable découverte : tant pour le lissier, parfois un brin soucieux, qui n’a jusque là aperçu son travail qu’à l’envers, que pour l’artiste, qui s’apprête à rencontrer son œuvre d’une autre manière. Sans oublier les invités éventuels qui, toujours, attendent cet instant avec impatience et exaltation.

La couture

Après ce moment fatidique, vient celui du perfectionnement ; le lissier, muni d’un fil et d’une aiguille, va s’atteler à la couture, créant, en l’absence éventuelle de « croisages », des « relais » aux endroits de la tapisserie d’Aubusson susceptibles de comporter de légères ouvertures.

Le certificat d’authenticité

Avant de quitter un atelier, une tapisserie d’Aubusson doit systématiquement être accompagnée d’un certificat d’authenticité. Celui-ci, qui comporte des mentions caractéristiques, va être cousu à l’envers de la tapisserie. Il s’agit du « bolduc »… nom d’autrefois employé afin de déterminer avec exactitude, dans le cas d’une expertise éventuelle, une œuvre alliant une tradition du passé et un déploiement constant vers l’avenir.